Pour raconter, expliquer le point de départ de mon travail, on pourrait remonter jusqu’à ma naissance.
Puis même, à l’histoire de mes parents.
A toute ma lignée familiale.
A l’histoire de l’humanité.
A la naissance des religions.
Aux premiers questionnements sur les mystères de la vie et de la mort.
Aux premiers hommes qui développèrent la parole.
A l’apparition de la vie humaine.
A l’apparition de la vie sur Terre.
A la naissance de la Terre.
A la naissance de l’univers.
Mais comme je ne suis experte dans aucun de ces domaines, ni même celui de ma naissance, dont ma mère est certainement la meilleure narratrice, je vous propose de regarder par la fenêtre de mon existence pour découvrir ce qui m’a conduit à travailler sur l’image de la Sainte Vierge.
En 2005, mon père est venu me rendre visite à Nantes.
Nous avons en commun le goût des objets qui portent des histoires, c’est pourquoi nous adorons les brocantes. Même avec un petit budget, tu peux acquérir une histoire, une petite blague, de la poésie, un anachronisme.
Ensemble, nous sommes allés aux puces de Viarme.
Papa cherchait à me faire plaisir, et était à l’affût de tout objet qui puisse attirer mon attention.
Je me suis arrêtée, fascinée, devant une statue de Notre Dame de Lourdes en plâtre.
Il m’a demandé si ce genre d’objets m’intéressait.
J’ai répondu, un peu embrouillée, quelque chose comme oui mais non.
Il a un peu insisté, m’a dit que ce n’était pas cher, que je pouvais l’acquérir.
J’étais fascinée par cet objet, sans trop savoir pourquoi.
Peut être le côté très kitsch ?
Mais je ne me sentais pas légitime d’avoir ça chez moi.
Je ne sais même pas si c’était une question de foi. Je crois que c’était une gêne liée à une certaine représentation parfaite de la femme que je ne serais jamais, mais je ne mettais pas encore le doigt dessus à l’époque.
J’ai donc refusé de repartir avec cette pièce.
Ce jour là, j’ai choisi une statue en régule nommée Eglantine. Une nymphe avec des ailes de libellule. Une femme libre.
Mais papa avait gardé en tête mon intérêt pour cette Sainte Vierge en plâtre.
Moi je ne pensais déjà plus à cet épisode. Et quelques temps plus tard, lorsque je lui rendis visite chez lui, je fus donc très surprise de recevoir une grande sainte vierge en plâtre de 43 cm.
Oh non… me suis-je dit. Mais qu’a-t-il fait là ? Ah voilà, c’est bien papa ça. Il n’en fait qu’à sa tête.
Je lui avais dit non pourtant.
Et maintenant je me retrouve avec ce truc. Où je vais mettre ça ?
Papa me voit un peu déstabilisée, il pense que c’est peut être à cause du prix, alors il me rassure, il a fait une bonne affaire. Quelques euros à Emmaüs. Oui il manque une partie du socle, alors la pièce ne tient pas debout. Mais dès qu’il a vu la pièce il a su que c’était pour moi, et puis aussi que ce serait facile pour moi de la réparer.
Je rappelle qu’à l’époque je réalisais des petites figurines de monstres. On était un peu à l’autre bout du spectre du sacré.
A ce moment, je n’avais pas compris que Papa venait de me faire le plus beau des cadeaux. Ce cadeau m’obligerait à me confronter à cette icône féminine pour me questionner sur ma spiritualité, mon identité de femme, ce que la société attend de moi et beaucoup d’autres choses.
Par son geste, il m’a libéré du premier pas difficile et invité à me libérer, à dépasser mes blocages.
J’ai été symboliquement autorisé à me questionner et à intervenir sur une icône sacrée.
Bien entendu, il n’imaginait pas à quel point j’allais transformer cette pièce.
Mais il a toujours été curieux, amusé et fier de ce que mon esprit et mes mains pouvaient produire.
J’ai emporté la pièce à la maison. Il m’a fallu du temps pour l’apprivoiser.
Cette année-là justement, je cessais mon activité de réalisation de figurines, parce que je passais mon temps à reproduire les mêmes modèles, couler du plâtre, peindre, pour fournir quatre magasins, et je ne passais plus de temps à créer.
J’étais devenue artisan en monstre.
Ce n’était plus possible.
Je m’étais donné un an pour me (re)trouver.
Et la voilà donc, cette Sainte Vierge. Elle arrive à ce moment là.
Vous croyez au hasard vous ?
Ce qui paraît une évidence aujourd’hui ne l’était pas pour moi à l’époque.
Elle est donc restée un an allongée dans l’atelier.
En 2006, je finis par me dire qu’il faudrait que je m’en occupe, quand même.
Je ne sais toujours pas trop quoi penser de cette pièce. Je sais que je l’aime. Mais je sais que je n’assume pas de la présenter dans mon salon.
Je remets ce questionnement à plus tard et j’entreprends la rénovation du socle, dont un bon tiers à disparu, emportant avec lui le pied droit de Marie.
Et c’est là que tout se joue.
Je sculpte le nouveau pied.
Je vois bien qu’il est un peu différent du pied gauche.
Il ressemble à mon pied à moi.
Attends, la sainte Vierge a mon pied ?
Je réalise alors que je viens de m’approprier cette pièce par ce geste.
De femme sacrée elle est passée à femme, à moi.
C’est une étape importante car je me demande alors jusqu’où je peux pousser cette idée d’appropriation. Comment pourrais-je me sentir à l’aise avec cet objet ?
Passionnée par le Japon depuis les premiers épisodes de « Juliette Je t’aime » diffusés en 1988 dans le « Club Dorothée », je n’ai jamais cessé depuis de m’intéresser à cette culture.
Ce fut donc pour moi une évidence d’associer à l’image de la femme sacrée à celle de la Geisha, icône féminine japonaise reconnaissable par tous.
La Geisha représente la femme artiste payée pour divertir sa clientèle, même si souvent son activité est mal interprétée par les occidentaux qui s’imaginent qu’il s’agit d’une prostituée de luxe.
La réalité est beaucoup plus complexe, mais on peut au moins s’accorder à dire qu’elle a une sexualité.
Voilà bien ce qu’on ne dira pas de la Sainte Vierge, femme reléguée au rôle de mère, proclamée immaculée conception.
Voilà un premier point soulevé par cette association. Un premier questionnement. Femme parfaite et sexualité ? La Sainte Vierge semble m’exprimer l’impossibilité de cette association. La mère, l’amante, et puis ici l’artiste, ne sont elles pas la même personne ?
Pourquoi chercher à séparer toutes nos identités ?
Je suis multiple. Nous le sommes toutes et tous.
Ma première pièce, terminée en 2006 a donc été Sainte Geisha.
Dès que je l’eus terminée, j’ai su que je n’allais pas m’arrêter là.
J’ai entrevu tout de suite la possibilité de nombreuses propositions autour de la Sainte Vierge.
Et j’ai eu envie d’explorer ça sans attendre.
J’ai d’abord fait ça pour moi, comme une recherche personnelle et ce n’est qu’en 2007 après avoir réalisé huit autres pièces que je me suis finalement décidée à démarcher une galerie.
Parce qu'à ce moment-là, j’ai réalisé que le personnel et l’universel était intimement lié. L’expérience de chacun résulte de l’environnement dans lequel il vit. Et nous vivons tous ensemble sur cette planète, dans ce même univers, ce même cosmos. Nous devons partager, confronter nos regards, pour mieux appréhender notre monde et avancer.
J’ai aussi compris que ce travail me passionnait tant, qu’il allait durer très longtemps, peut-être toute mon existence.
Ce ne serait pas un travail anecdotique, c’était certain que j’allais lui donner une grande place dans ma vie.
Je suis heureuse de partager avec vous chaque pièce que je réalise.
J’y met beaucoup de joie, d’amour, de poésie, d’espoir, d’humour, et quoiqu’en pensent certains, je ne cherche jamais ni à blesser, ni à choquer qui que ce soit.
La Sainte Vierge, désormais, je sais que c’est moi.
Non pas que je me prenne pour une réincarnation de la Vierge Marie, mais parce que je transpose sur cette image tout ce que je ressens, tout ce qui m’anime, tout mes questionnements.
Et ce sont peut être les vôtres aussi.
A travers ce travail, que j’ai nommé « Apparitions », vous avez des visions de la Sainte Vierge.
Vous savez désormais que ces visions, c’est moi, c’est nous, c’est vous !
Alors, t’as vu la Vierge ?
(C'est écrit en english pour les followers internationaux oué)
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