J’appartiens à l’Univers.
Aujourd’hui, c’est mon anniversaire.
En ouvrant les yeux, ce matin là, mon cerveau tourne en boucle un refrain: « I belong to Universe, I belong to universe » de la chanson « Universe » de Ambar Lucid que j’avais remarquée particulièrement la veille.
Je me lève, je me sens d’humeur mélancolique, les émotions aux bords des yeux.
Je décide alors de conjurer le sort en portant mon bracelet magique réalisé avec des lettres-perles qui dit : HA-HA-HA-HA-HA-HA-HA-HA.
La promesse d’une journée amusante.
Je pars à la Brocante place Viarme, puis déjeune en ville en famille.
A mon retour à la maison, je remarque que j’ai reçu un message via Instagram.
Une personne me contacte en me joignant une photo, pour me demander s’il s’agit bien de mon travail.
Je le reconnais immédiatement.
Ce n’est pas une copie. C’est mon travail.
C’est Super Marie O.
Réalisée en 2012, vendue par la Galerie Caroline Tresca à Paris en 2014.
La pièce est photographiée en extérieur, devant des grilles et un bâtiment que je ne peux identifier.
La prise de vue ne me permet pas de voir son socle. Je constate qu’elle est abimée, l’écharpe a pris un coup.
La légende sur la photo me fait comprendre qu’elle se trouve dans une brocante.
Attends. Quoi ? Mon bébé est dans une brocante ?
Que s’est-il passé ?
Comment est-elle arrivée ici ?
Dans quelle condition est-elle vendue ?
Le vendeur sait-il de quoi il s’agit ?
Est-elle encore à vendre ?
Est ce que je peux espérer la récupérer ?
Je dois sauver mon enfant.
Je dois au moins essayer.
Le message avait été envoyé plus tôt le matin.
Je réponds à la personne qui a envoyé cette image et je tente d’en savoir plus, j’ai mille questions à poser !
Mais la communication n’est pas fluide, la personne n’est peut-être pas très disponible ou alors mes questions l’ont fait fuir, je ne sais trop ce qui se passe.
Je me sens à la fois inquiète et confiante.
Je veux savoir. Mais quoiqu’il arrive je l’accepterai.
« I belong to Universe, I belong to Universe », encore.
J’ai l’impression de recevoir un message insistant.
J’appelle la galerie Albane qui m’assure de tout son soutien pour tenter de récupérer la pièce.
Je n’ai plus qu’à attendre que cette personne réponde à mon dernier message, et accepte peut être qu’on se téléphone.
Pour patienter, je me prépare des cookies d’anniversaire.
Une heure passe lentement.
On mange trop de cookies.
Normal, je vis avec Cookie Monster.
Finalement la personne répond à mon dernier message et accepte qu’on se téléphone.
Elle m’explique alors qu’elle a vu la pièce 15 jours auparavant, aux Puces de Vanves à
Paris. La pièce est complète avec son socle. Le vendeur a dit qu’il s’agit d’une pièce d’artiste, signée, avec un certificat d’authenticité.
Il a récupéré cette pièce en débarrassant une maison.
Je comprends alors que la vieille dame qui avait eu le coup de cœur pour Super Marie O est sans doute décédée et que ses affaires ont été récupérées par un brocanteur.
Bien que le brocanteur sache ce qu’il vende, je doute qu’il puisse communiquer sur ma démarche artistique et l’inscrire dans l’ensemble de mon travail.
Ça m’ennuie qu’elle puisse devenir un objet anecdotique, déconnectée de son histoire et vidée de son sens.
Cette pièce est le résultat de 6 mois de travail.
Elle mesure 1m35. Il s’agit de ma plus grande pièce à ce jour.
Le prix annoncé par le vendeur est conséquent pour une brocante, bien que inférieur au prix auquel je l’ai vendue à la Galerie Tresca.
Je me dis qu’elle n’a alors peut-être pas encore été vendue.
Je veux absolument mener une enquête pour essayer de la récupérer. Je demande de l’aide à cette personne, dans l’espoir qu’elle n’habite pas trop loin des puces où qu’elle connaisse quelqu’un qui puisse y retourner pour essayer de retrouver le vendeur.
Je suis déjà impressionnée par le fait que cette femme, qui m’a contactée via instagram, ait pu reconnaître mon travail. Je le serais encore plus par la suite.
Elle se prend au jeu et décide de faire son possible pour m’aider. Elle a un ami brocanteur qui peut peut être l’aider dans cette aventure.
Je lui promets des catalogues pour la remercier.
Je me sens à la fois démunie, et excitée. Je deviens la spectatrice du film de ma vie.
Mais je commence à la trouver drôlement amusante cette histoire. Peu importe le dénouement.
C’est ce fichu bracelet qui fonctionne peut être !
HA-HA-HA-HA
Après cette conversation téléphonique, je recontacte la Galerie Albane.
Elle me promet de me soutenir financièrement pour acheter la pièce si on parvenait à joindre le vendeur. Elle est persuadée de l’issue positive de cette enquête, et me rassure beaucoup.
Je suis soulagée car je n’ai pas les moyens de l’acheter seule.
A la maison, Cookie Monster évoque l’idée de garder la pièce pour nous, mais j’argumente sur cette impossibilité de fait, financière. Pourtant, moi aussi j’aimerais pouvoir la garder. J’ai des raisons qui ne sont pas sans liens avec les émotions aux bords des yeux de ce matin.
Mais je serais déjà très heureuse, qu’elle soit accueillie à la Galerie Albane, présentée et défendue comme il se doit. Et puis surtout, je pourrais restaurer cette écharpe abîmée.
Cookie Monster et moi décidons d’aller marcher pour évacuer le trop-plein.
Le trop-plein de cookies d’anniversaire, d’émotions entremêlées d’excitation.
« I belong to Universe » tourne toujours en boucle dans ma tête.
Oui, c’est ça, j’appartiens à l’Univers. Je le sens particulièrement.
C’est le milieu de l’après midi, là où le soleil est le plus haut dans le ciel.
C’est le solstice d’été, exceptionnellement un jour plus tôt cette année.
Apparemment cela n’était pas arrivé depuis 1796 en France.
C’est alors que mon enquêtrice parisienne me rappelle.
Les choses sont finalement allées très vite.
Son ami brocanteur connaît le vendeur qu’il a reconnu sur une photo qu’elle lui a envoyée où on le voit à côté de la pièce.
Puis la conversation prend une tournure inattendue.
Cette femme, à peine rencontrée, me propose alors d’acheter elle-même la pièce et de me la restituer.
En retour je devrais m’engager à réaliser une pièce d’une taille plus raisonnable pour elle. Ce serait une commande à réfléchir ensemble.
Je ne peux qu’accepter par un oui. Un oui de surprise et d’étonnement, un oui qui croit aux histoires incroyables, un oui qui a foi en l’autre, un oui qui a confiance en l’Univers.
Cette personne semble tellement heureuse et ravie elle aussi.
Pourtant, c’est moi qui reçois cet énorme cadeau d’anniversaire !
Quelles étaient les probabilités pour qu’une telle aventure arrive ?
Tout ça est totalement extra-ordinaire.
Est ce que cela est vraiment en train d’arriver ?
Je vais récupérer Super Marie O, je vais pouvoir la garder pour moi, parce qu’une gentille inconnue a reconnu mon travail, s’est investie dans l’enquête pour la retrouver, y est parvenue et m’a fait cette merveilleuse proposition.
Ce sera avec un grand plaisir que je réaliserai une pièce pour elle.
Afin de rester dans l’énergie du moment, elle me propose de nous organiser dans les prochains jours pour récupérer la pièce la semaine suivante.
Juste avant de nous dire au-revoir elle me révèle alors son identité, Florence Servan-Schreiber.
L’univers vous a mise sur mon chemin, quelle joie !
Tout de même, quelles drôles de circonstances !
Je recommande vraiment le bracelet HA-HA-HA-HA
Après cette conversation, Cookie Monster et moi marchons autour de la cathédrale, nous prenons la mesure de l’histoire étonnante qui nous arrive. Il m’avoue avoir eu une vision de Super Marie O chez nous, avant même de savoir que ce serait possible.
Nous discutons aussi de la pièce que je pourrais proposer à Florence.
Je ne la connais pas, je ne l’ai jamais rencontrée.
Quels sont ses goûts, ses aspirations ?
J’ignore encore qu’elle est une auteure reconnue.
Cookie Monster me souffle une idée que je m’apprêtais à formuler au même instant.
C’est dire si c’est une évidence.
La pièce doit être reliée à l’univers.
Pour célébrer cet instant magique, où toutes les planètes semblent parfaitement alignées pour que l’événement survienne.
J’ai de plus en plus de mal à croire au hasard.
C’est comme si tout l’univers avait tout mis en place parfaitement pour arriver à cet instant précis.
De toute façon je le sais depuis ce matin, puisque « I belong to Universe ».
Je fais partie de cet univers où je ressens que tout est lié, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, bien au delà de ce que nos yeux peuvent percevoir.
J’ai alors moi aussi une vision, Notre-Dame de l’univers, la femme, ce soleil au centre de notre système solaire.
C’est décidé, je lui proposerai.
Les jours suivant se passent dans la joie de raconter à mes proches cette histoire, et dans l’attente de recevoir des nouvelles concernant l’organisation du retour à la maison de mon gros bébé.
4 jours plus tard, Florence sauve Super Marie O de l’orphelinat.
Nous convenons de nous retrouver dans le Perche le samedi suivant pour que je puisse récupérer ma brebis égarée.
Tout cela allait devenir vraiment concret.
Ce ne serait plus une histoire.
Ce serait pour de vrai.
Samedi.
Il nous faut 2h30 de route environ, pour arriver au lieu de destination-restitution.
C’est dans une brocante.
Florence est déjà arrivée, bien qu’elle ait eu pas mal de route à faire elle aussi.
La brocante est celle de son ami, celui qui a reconnu le brocanteur, justement.
J’oublie de le remercier.
Je suis à côté de moi.
Je me vois circuler dans les meubles et les objets anciens, aux côtés de Florence qui me pose quelques questions sur mon travail. Des mots sortent de ma bouche.
Sujet, verbe, complément.
Nous partons déjeuner ensemble à Nogent-le-Rotrou.
Mais avant nous transférons Super Marie O de son coffre au nôtre.
Elle est bien emballée, mais je la reconnais déjà.
Mon corps a la mémoire de ses formes auprès desquelles j’ai travaillé longuement
Je suis très émue.
C’est incroyable tout ça, vraiment.
Un petit sac en tissus de coton naturel a été noué sur la partie haute de la pièce.
On la croirait enveloppée dans un linceul.
Je garderai pour nous nos échanges à ce déjeuner. Je les chéris comme des trésors.
Florence est certainement un soleil pour ses proches, tant sa lumière éclaire facilement.
Elle a été peut être un peu surprise par ma proposition de Notre-Dame de L’univers, mais très emballée. Puis finalement complètement convaincue.
Alors OUI, « I belong to Universe », j’appartiens à l’univers, Florence aussi, et toi, et puis toi, et toi là bas, et puis tous aussi.
Et puis aussi, OUI, fais toi un bracelet qui rigole, tu vas voir, il va t’arriver des trucs drôles.
HA-HA-HA-HA