Pois-triarcat ?
« Seule une vraie princesse peut être incommodée par un petit pois caché sous dix matelas » Ainsi s’achève le conte de « La princesse au petit pois », lu et relu maintes fois pendant l’enfance. Mais qu’est ce qui me plait tant dans ce conte ? Pourquoi pas plutôt Blanche-neige, Cendrillon ou Raiponce qui sont aussi dans « Mon plus beau livre de contes » reçu à mes 10 ans?
Il semblerait que Hans Christian Andersen se moque ici de la manie qu’on les familles royales à se marier entre elles.
Est ce que déjà, si jeune, je ressens un fort désir de sortir de ma classe sociale pour aller chez les riches ? Aujourd’hui encore j’ai du mal à me définir comme une enfant pauvre parce que la solidarité familiale et l‘humour de ma mère m’ont toujours protégé. Pourtant si je m’en tiens uniquement aux faits, il y a des éléments qui ne trompent pas : Se faire passer pour sa cousine pour accéder à des soins médicaux, le chauffage coupé en plein hivers, aller prendre son bain chez ses grands parents, porter les anciens vêtements de ses cousines plus jeunes, les lots de biscottes premiers prix, ta tante qui dépose une semaine de courses sur la fenêtre, ne faire aucune sortie culturelle.
Certainement qu’en dramatisant, je m’identifie à cette « jeune fille en haillons » qui se présente au château un soir d’orage. Sous ma pauvreté, qui saurait découvrir ma vraie richesse ? Je pense alors que cette découverte se trouve entre les mains d’autres que moi.
Un autre élément marquant de ce conte c’est la princesse qui n’a pas fermé l’œil de la nuit et qui est couverte de bleus au petit matin. C’est sans doute cette partie qui me touche le plus. Car être incommodée à ce point par un petit pois caché sous dix matelas me semble démontrer l’hypersensibilité de la protagoniste. Et je fais rapidement le lien entre hypersensibilité physique et émotionnelle. Cette hypersensibilité que je ne peux pas encore définir mais qui me fait me sentir en décalage. Moi aussi j’ai des bleus. J’ai des bleus à l’âme.
Le petit pois ? Je ne sais pas ce que c’est… quelque chose de global et insaisissable que je n’arrive pas à comprendre. C’est bien plus tard que je réalise que ce petit pois ce n’est ni la famille, ni les camarades d’école, c’est plus grand encore, eux même sont pris dedans. C’est tout un système de société.
Et les bleus, j’en ai accumulé tellement, que je suis devenue entièrement bleue.
Telle une extraterrestre, je suis bleue.
Depuis ma planète, je découvre le monde des humains avec curiosité. Mais je reste une observatrice qui a du mal à s’intégrer et à se sentir à sa place. Plus tard, l’adolescence me permet d’expérimenter mes capacités de caméléon pour tenter de passer inaperçue.
Mais rapidement le bleu reprend le pouvoir. Parce qu’il s’agit aussi d’un super pouvoir. Le bleu n’est pas seulement souffrance, mais source de joie et de créativité salvatrice.
Je pleure plus fort.
Je ris plus fort.
Une étude a émis l’hypothèse qu’il pourrait y avoir 30 % d’hypersensibles.
30 %.
30% d’extraterrestres qui ont des bleus à l’âme.
En faîtes vous partis ?
(Texte écrit pour le livret de l'exposition qui eu lieu à la galerie Albane en octobre 2023)